Un peu d’histoire
Nous sommes habitués à regarder la Bretagne d’aujourd’hui comme un espace excentré, loin de l’Europe Rhénane. Aussi, nous rencontrons quelque difficulté à reconnaître qu’elle fut, à la fin du Moyen-Age et au début des Temps Modernes, au cœur du commerce ouest-européen.
Étaient alors concernés : des centaines de ports (dont Kérity, un temps « premier port européen » !), des milliers de petits navires qui se livraient à un incessant et fructueux cabotage de l’Espagne à la mer Baltique en passant par l’Angleterre et les Pays Bas. « En 1533, 800 des 995 bateaux entrés à Arnemuiden, le principal avant-port d’Anvers, sont bretons », signale Alain Croix, historien.
Anvers est au cœur des Flandres, elles-mêmes espace-phare de la Renaissance. L’expression « Pays-Bas Espagnols » caractérisant l’empire de Charles Quint place bien la Bretagne au centre des échanges commerciaux de l’Europe au début du XVIe siècle.
La Duchesse Anne, avant d’épouser deux rois de France, avait été la promise de l’Empereur Maximilien d’Autriche… peut-être pas seulement pour sa beauté.
L’œuvre
Ces rappels historiques nous permettent de porter un regard nouveau sur cette œuvre clairement datée de 1517, trois ans après la mort de la Duchesse Anne. On trouve dans cette œuvre des « accents étrangers » : une coiffe issue des modes « maniéristes » déjà en 1517 et le bonnet à floches du personnage de gauche, d’inspiration espagnole.
Dans sa thèse, Gh. Durand montre bien d’autres nombreuses similitudes entre cette œuvre « et celles de la péninsule hispanique, c’est-à-dire de l’aire Ibéro-Nordique ». (Thèse de l’Université de Rennes 2, 1988) Cette étude aboutit à la conclusion que cette œuvre a été réalisée dans un atelier breton par un artiste itinérant soit espagnol, soit flamand.
Ces brèves considérations historiques nous montrent comment les œuvres d’art constituent des empreintes très fortes de notre histoire. Beaucoup se plaisent d’ailleurs à voir, dans la « figure » de Marie-Madeleine aux pieds de Jésus, le visage de notre Duchesse Anne devenue deux fois reine de France.
Ceci dit, il reste que toute œuvre d’art, digne de ce nom, est UNE œuvre, c’est-à-dire qu’elle est vraiment unique… Après un temps de sidération, nous pouvons envisager cette œuvre pour elle-même, c’est-à-dire au-delà du contexte historique qui l’a produite.
Dix personnages, cinq hommes et cinq femmes, entourent le corps du Christ le tout étant surmonté d’une croix.
Trois hommes en haut semblent en retrait de la scène.
La position des mains de deux d’entre eux nous montre qu’ils parlent (cela est signifié par les doigts croisés) de part et d’autre de la croix. Le troisième descend la couronne d’épines.
Au contraire, à gauche, un autre homme qui pourrait être Nicodème — un notable qui a défendu Jésus — regarde le corps du crucifié avec stupeur.
Il fait partie des sept personnages, cinq femmes et deux hommes, qui « contemplent » le corps mort du Crucifié reposant sur les genoux de sa mère.
Au plus près du corps du Christ, les mains de Marie-Madeleine qui tient ses pieds qu’elle avait essuyés de sa chevelure, de Marie la mère de Jésus penchée sur sa poitrine et de Jean, qui soutient sa tête, forment avec le bras du Christ comme une mandorle. L’artiste suggère ainsi la divinité de celui qui git ici sans vie.
Et nous qui regardons cette scène aujourd’hui, nous sommes placés devant ce corps mort comme le sont les personnages représentés.
Sommes-nous en retrait comme les trois hommes du haut ? Sommes-nous dans la contemplation comme les deux femmes en prière ? Sommes-nous dans la consternation comme Nicodème debout à gauche ? Sommes-nous en méditation comme Marie-Madeleine faisant mémoire d’un temps où ce corps fut plein de vie ?
Cette œuvre à elle seule mérite le détour dans les hauts de Pencran